La Belle Boite n'est pas compatible avec la distanciation.

Nous ne sommes que proches.

Publié dans Actus le 1 mai 2020 par Antoine Lambert

Et le virus arriva.

Alors que nous nous amusions, que nous travaillions, que nous imaginions des scènes, des films, des formats, que nous nous frôlions, que nous nous embrassions, que nous nous prenions dans les bras pour nous donner de la force, du courage, de l’affection, alors que nous frottions nos idées, nos rires, nos têtes, nos yeux à ceux des autres pour voir ce qui pouvait en ressortir de neuf, le virus arriva.

Comme tant d’autres, il nous surprit.

Le métier de la Belle Boite est depuis son lancement de rappeler aux gens que le travail est une organisation humaine, et que la meilleur façon d’y faire des vieux os reste de la questionner, avec franchise, espièglerie, humour bien sur, et responsabilité. 

Ce programme, nous avons cherché depuis 2013 à le déployer au mieux de nos compétences. Nous avons animé des ateliers, des séances de travail, des conventions de 30 à 2000 personnes. Nous avons formé des gens, bousculé un paquet des vieux principes qui nous passaient sous le nez. Nous avons parfois tapé dans le mille, parfois été trop loin, parfois pas assez. Les rires et le bruissements de l’assistance étaient là pour nous guider. Nous étions tous ensemble.

Souvent, on nous demandait s’il était possible de filmer nos prestations. Je ne crois pas que nous ayons refusé une seule fois  mais nous mettions toujours en garde nos clients sur le risque que le résultat soit décevant. L’improvisateur n’existe que dans l’instant et son goût ne résiste que très peu à la mise en boite. Nous sommes des artistes, consultants de la présence et de l’instant. Et nous nous aimions comme ça. Dans l’instant présent.

Et le virus arriva.

En quelques jours, il rendit hors la loi tous nos préceptes fondamentaux : faire ensemble, réfléchir ensemble, rire ensemble. Mais ensemble pour de vrai. Comme sur une scène, avec son corps, sa voix, son odeur, son humeur, la présence des autres. Toutes ces choses qui ne sont pas téléchargeables. Il repoussa aux calendes grecques le jour où nous pourrions à nouveau nous rassembler. 

La seule alternative consiste dès lors à faire à distance. Pour protéger l’autre. Pour se protéger de lui. Nous sommes tous devenus en quelques semaines des menaces potentielles.

Faut-il repenser notre métier pour le rendre soluble dans des écrans 13 pouces divisés en une mosaïque de petits théâtres télévisuels ? L’entrepreneur-employeur que je suis, se sent obligé d’y réfléchir. Mais une partie de moi se refuse vigoureusement à l’envisager. Si je ne m’oppose pas aux consignes nationales élaborées pour garantir la santé du plus grand nombre, il m’est très difficile d’accompagner, même provisoirement, la mise en place d’un fonctionnement social placé sur la défiance, la précaution, la distance. Qu’avons nous à gagner à apprendre à faire sans la proximité ? 

Certes, on m’interpellera sur le besoin des gens de rendre cette période plus supportable, moins anxiogène. 

Mais je doute tellement qu’il faille rendre tout ça supportable. Le risque serait qu’on s’y habitue, qu’on s’en accommode. Qu’on oublie à quel point cet inconfort que constitue l’autre dans notre train-train quotidien, est la seule chose qui nous rend humain, vivant, cohérent.

Intervenant du contact, de la confrontation joyeuse, je me sens aveugle, muet, sourd et amputé des bras. Et je peine à trouver une utilisation de nos compétences, réellement créatrice de valeur et de sens. 

C’est probablement un caprice qui se dissipera au fur et à mesure que la nécessité alimentaire se fera chaque semaine plus pressante. Mais je ressens à l’heure actuelle le besoin de le revendiquer.

La Belle Boite ne sera jamais confinée. 

Vivons heureux et portez vous bien.

Antoine